DIMANCHE 10 DECEMBRE 2023
Homélie de Vénuste
Le Temps de l'Avent (2)
Isaïe 40, 1…11 : métaphore du chemin que reprend l’évangile et qui rappelle la route de l’Exode, libération de l’esclavage, à la terre promise. Dieu répond à la prière de son peuple exilé : il vient habiter de nouveau au milieu de son peuple. Il faut préparer sa route ; mais cette route n’est pas destinée uniquement à la venue de Dieu, elle doit permettre au peuple de se mettre lui aussi en marche avec Dieu.
2 Pierre 3, 8-14 : pourquoi le jour final n’est-il pas encore arrivé ? D’abord parce que Dieu n’a pas la même conception du temps que les hommes (mille ans sont comme un jour et inversement) ; ensuite parce que Dieu est patient et laisse à l’homme le temps nécessaire pour se convertir (ce n’est ni négligence, ni indifférence, ni impuissance de sa part). Le temps de l’attente est une chance offerte à l’homme pour se préparer : ne pas tomber donc dans l’insouciance ni dans la débauche, mais profiter de l’occasion pour mener une vie digne.
Marc 1, 1-8 : préparer le chemin du Seigneur. Il ne s’agit pas de pavements ni de terrassements dans le paysage, mais de conversion du cœur, de retournement radical dans le comportement. A l’exemple de Jean le Baptiste : se ménager un temps de désert, de désencombrement, de recueillement, de prière. Se mettre dans les dispositions d’être baptisé dans l’Esprit par Celui que le Précurseur ne sait pas encore nommer mais dont il prépare l’arrivée.
C’est ici et c’est ainsi que commence l’évangile selon St Marc. Il n’y a pas chez lui d’évangile de l’enfance, mais il parle lui aussi d’un commencement : « Commencement de l’Evangile (la Bonne Nouvelle) de Jésus Christ, le Fils de Dieu ». Les exégètes aiment s’arrêter à cette phrase parce qu’elle résume tout l’évangile. Le mot commencement ne veut pas dire ici début dans le sens d’une première phrase d’un récit. Il faut le prendre dans le sens que lui donne le livre de la Genèse : comme lors de la Genèse, nous sommes aux origines d’une nouvelle création, d’une nouvelle humanité, d’une nouvelle étape de l’Histoire sainte. C’est une action, une geste de Dieu qui commence à se réaliser. C’est l’œuvre de Dieu, l’œuvre du salut qui prend un nouvel essor : les temps sont arrivés où les promesses divines vont trouver leur accomplissement. Marc entreprend de donner son témoignage, le témoignage de l’Eglise des premiers chrétiens, le témoignage de Pierre dont Marc fut en quelque sorte le secrétaire : il n’écrit pas un récit quelconque ni une suite de faits divers. Il veut montrer comment on en est arrivé (et comment on en arrive) à confesser (professer) que Jésus « Christ » (l’Oint = Messie) est Fils de Dieu. Qu’est-ce que Jésus a fait, qu’est-ce qu’il a dit pour que ses disciples parcourent le monde entier en affirmant qu’il est Fils de Dieu. C’est pour nous dire : si tu lis avec des dispositions d’ouverture d’esprit et d’accueil, tu vas vivre un cheminement spirituel qui te conduira à reconnaître toi-même que ce Jésus est vraiment le Fils de Dieu. En Marc, le titre « Fils de Dieu » ne reviendra que dans la bouche du centurion sur le Calvaire.
Et le premier témoin entre en scène. Le témoignage s’ouvre sur celui du Baptiste. Il fait le pont qui relie Jésus avec le Premier Testament. Jean Baptiste a le privilège d’assurer la préparation immédiate, il est le Précurseur, celui qui montra du doigt le Messie parce qu’il fut dans sa proximité physique, il l‘a vu physiquement. Il lui prépare vraiment le terrain et demande à tous ses auditeurs de faire de même, pratiquement de l’imiter.
L’homme. Un message qui est appel à la radicalité. La prédication du Baptiste est d’abord sa façon de vivre. C’est plutôt rare que la Bible parle du régime alimentaire de quelqu’un et d’insister sur sa façon de s’habiller. Les évangiles décrivent l’ascétisme sévère, rigoureux et austère de Jean Baptiste pour le montrer comme exemple des dispositions pour le meilleur accueil du Messie qui vient. Le Baptiste est très frugal mais par ailleurs, il se nourrit de ce que produit le désert, le désert qui devient ainsi un verger comme dans les promesses, comme le jardin de l’antique paradis. Jean le Baptiste est l’homme du désert, il a choisi de vivre au désert, de s’habiller de peau, de manger des sauterelles et le miel sauvage : c’est un homme libre, libre de tout conformisme, loin de la société de consommation. Il est au désert parce que là il ne se sent pas à l’étroit, il est chercheur, chercheur de sens à sa vie, chercheur d’idéal, chercheur d’absolu, chercheur de Dieu. Nous aussi, dans les déserts de nos villes, nous sommes des chercheurs ; nous cherchons autre chose que ce que nos sociétés d’argent nous proposent ; car le monde moderne nous offre le confort tout en étant incapable de nous offrir un avenir, une espérance.
Le Baptiste, cet homme austère et « original » attire des foules. Principalement ceux que le temple ne recevait pas ou ceux que la religion du temple a déçu. L’évangéliste affirme que c’est toute la Judée et tout Jérusalem qui affluent vers Jean. Ceux qui allaient à lui voulaient changer quelque chose dans leur vie, ils cherchaient à se convertir. Nous au contraire, nous sommes attirés par l’aspect extérieur des personnages, par le « look », quitte à nous en désintéresser si on n’a pas les mêmes goûts vestimentaires ou le même discours politique que la société que nous fréquentons. C’est pourquoi l’original qu’est Jean Baptiste, le non conformiste qu’il est, parle littéralement dans le désert de notre époque. Nous écoutons plus volontiers celui qui nous conforte dans nos opinions, plutôt que celui qui nous demande de les changer, qui parle à notre conscience sans mettre de gants. Pas Jean Baptiste.
Le cadre : le désert. La route du désert rappelle l’Exode, cet événement fondateur qu’est la sortie d’Egypte suivie de l’entrée en terre promise en passant par le désert et la Mer Rouge. Ce fut le lieu de la tentation et de l’épreuve, mais surtout le lieu des épousailles, de l’Alliance entre Dieu et son peuple. C’est ce cadre qu’il faut retrouver pour préparer la route que le Seigneur empruntera pour arriver à notre cœur, la route où nous cheminons avec le Seigneur. Il y a une spiritualité du désert qu’il faut retrouver. Savoir trouver, dans le désert de nos villes, des temps de prière et de solitude, seul à seul avec le Dieu qui parle au cœur pour nous séduire et faire alliance avec chacun. Prendre de la distance à l’égard de nos agendas et obligations professionnelles ou familiales, loin du confort et des facilités, là où il est impossible de se distraire ni de se réfugier dans le superficiel, là où on est dépouillé pour atteindre la vérité de notre être, là où on fait l’expérience que vraiment l’homme vit de la Parole de Dieu. Un temps de solitude et de silence pour nous recharger spirituellement : ça donne du tonus. Les évêques de Belgique nous exhortent à pratiquer (en équipe) la « lectio divina » : approfondir la Parole de Dieu, la lire, la méditer, la « mâcher », la pratiquer, en vivre, en témoigner.
Le rite. Jean le Baptiste plongeait les foules dans le Jourdain pour leur donner le baptême de conversion. Il a pris la peine de souligner la différence entre son baptême et le baptême en l’Esprit que donnera le Christ. Son baptême est déjà différent des ablutions rituelles recommandées avant la prière et les sacrifices au temple. A l’époque de Jean Baptiste, surtout chez les Esséniens, des bains étaient pris pour signifier le besoin de purification et de conversion : on aime toujours extérioriser, exprimer ce qu’on a sur le cœur. Le baptême de Jean était une expression – extérieure - de la volonté de conversion, volonté de changer radicalement une conduite mauvaise pour adopter la seule conduite qui plaît à Dieu. Le baptême dans l’Esprit Saint que donne le Christ est totalement différent en ce sens que ce n’est pas la volonté humaine qui est exprimée, mais l’action de Dieu qui recrée, sanctifie, sauve. C’est pourquoi il est efficace, puisque c’est Dieu lui-même qui déploie sa puissance en donnant l’onction de l’Esprit Saint ; c’est pourquoi il ne se répète pas, mais il doit bien entendu se vivre au quotidien.
Le temps de l’Avent nous donne l’occasion de préparer la fête de Noël. Oui le Christ est déjà venu, mais nous avons toujours à lui préparer nos cœurs, puisqu’il ne vient pas uniquement à Noël, puisqu’il veut demeurer chez nous. Quand on reçoit un ami, qu’est-ce qu’on ne fait pas pour qu’il trouve qu’on lui a préparé la maison afin qu’il se sente à l’aise, assez pour demeurer bien volontiers. Plus l’ami est cher, plus la préparation sera faite de tout cœur. La chambre que nous avons à préparer est notre « propre » cœur pour notre Dieu. Il ne faut pas qu’il le trouve encombré : il y a des choses qui n’ont pas leur place à côté de lui. Notre temple intérieur, notre tabernacle nécessite des préparatifs.
Pour nous le faire comprendre, Jean Baptiste a repris la métaphore du chemin que nous trouvons plus explicitée chez le prophète Isaïe. Il s’agit d’un chemin pour notre Dieu, il est question de marche, de démarche… et de rencontre, la rencontre de Dieu. Il y a donc les ravins à combler : tous nos manques d’amour, nos pauvretés, nos fragilités, toutes les vallées creusées par la jalousie, l’envie, la volonté de domination ; nos doutes ; le pardon à donner, les injustices à réparer et les incompréhensions à dissiper… nos péchés d’omission. Il y a les montagnes à rabaisser : nos démesures, nos orgueils et égoïsmes, nos suffisances, nos indifférences et nos mépris. Il y a aussi les passages tortueux : nos ruses et mensonges ou échappatoires, nos déviances… au lieu d’être vrai. Il y a du pain sur la planche, car on n’a jamais fini de se convertir. C’est le chantier de toute une vie. Le tout est de ne pas relâcher la volonté de changer.
Ne soyons pas nous-mêmes obstacle à l’Envoyé que Dieu dépêche pour nous libérer. Que l’Esprit dans lequel le Christ nous a plongés au baptême, nous aide à avoir assez de lucidité et de discernement pour savoir comment aplanir la route de notre cœur ; qu’il nous accorde le courage et la persévérance d’une conversion radicale, sincère et permanente. Soyons aussi pour les autres des Jean Baptiste qui portent la parole de Dieu dans notre entourage. Et ce ne sont pas les occasions qui manquent. Allons parler dans les déserts de nos villes, allons y préparer la route du Seigneur, car elle ne passe pas uniquement par notre cœur, elle veut atteindre tout être vivant. Allons aider nos contemporains à combler tout ravin, à abaisser tout escarpement, à redresser tout passage tortueux. C’est urgent, voici le Seigneur qui vient.
Amen
Vénuste
DIMANCHE 3 DECEMBRE 2023
Homélie de Gilles
Un temps béni
PREMIÈRE LECTURE
Lecture du livre du prophète Isaïe (Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7)
C’est toi, Seigneur, notre père ;
« Notre-rédempteur-depuis-toujours », tel est ton nom.
Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer
hors de tes chemins ?
Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir
et ne plus te craindre ?
Reviens, à cause de tes serviteurs,
des tribus de ton héritage.
Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais,
les montagnes seraient ébranlées devant ta face.
Voici que tu es descendu :
les montagnes furent ébranlées devant ta face.
Jamais on n’a entendu,
jamais on n’a ouï dire,
nul œil n’a jamais vu un autre dieu que toi
agir ainsi pour celui qui l’attend.
Tu viens rencontrer
celui qui pratique avec joie la justice,
qui se souvient de toi
en suivant tes chemins.
Tu étais irrité, mais nous avons encore péché,
et nous nous sommes égarés.
Tous, nous étions comme des gens impurs,
et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés.
Tous, nous étions desséchés comme des feuilles,
et nos fautes, comme le vent, nous emportaient.
Personne n’invoque plus ton nom,
nul ne se réveille pour prendre appui sur toi.
Car tu nous as caché ton visage,
tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes.
Mais maintenant, Seigneur, c’est toi notre père.
Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes :
nous sommes tous l’ouvrage de ta main.
DEUXIÈME LECTURE
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (1 Co 1, 3-9)
Frères,
à vous, la grâce et la paix,
de la part de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ.
Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet,
pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ;
en lui vous avez reçu toutes les richesses,
toutes celles de la parole
et de la connaissance de Dieu.
Car le témoignage rendu au Christ
s’est établi fermement parmi vous.
Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque,
à vous qui attendez
de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ.
C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout,
et vous serez sans reproche
au jour de notre Seigneur Jésus Christ.
Car Dieu est fidèle,
lui qui vous a appelés à vivre en communion
avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.
ÉVANGILE
Evangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 13, 33-37)
En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
« Prenez garde, restez éveillés :
car vous ne savez pas
quand ce sera le moment.
C’est comme un homme parti en voyage :
en quittant sa maison,
il a donné tout pouvoir à ses serviteurs,
fixé à chacun son travail,
et demandé au portier de veiller.
Veillez donc,
car vous ne savez pas
quand vient le maître de la maison,
le soir ou à minuit,
au chant du coq ou le matin ;
s’il arrive à l’improviste,
il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous :
Veillez ! »
Homélie
Nous voici au début du temps de l’Avent, un temps béni pour apprendre à attendre la venue du Christ dans le quotidien dans nos vies. Les lectures de ce jour vont nous donner trois outils précieux pour bien « attendre la venue du Christ ». Tout d’abord dans la première lecture, le prophète Isaïe décrit très bien notre façon habituelle d’attendre Dieu :
1) Nous commençons par crier vers Dieu quand ça ne va pas : « Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? Reviens, … Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais »
2) Dieu répond à notre prière en venant à notre secours : « Voici que tu es descendu : et les montagnes furent ébranlées, jamais on n’a vu un autre dieu que toi agir ainsi pour celui qui l’attend. Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice, qui se souvient de toi en suivant tes chemins. »
3) Grâce à la réponse de Dieu nous allons mieux, mais c’est alors que nous l’oublions, que nous cessons de l’attendre, en pensant que nos réussites viennent de nous et nous nous égarons à nouveau : « Mais nous avons encore péché, et nous nous sommes égarés, tous nos actes justes n’étaient que linges souillés, nous étions desséchés comme des feuilles, et nos fautes, comme le vent, nous emportaient. Personne n’invoque plus ton nom, nul ne se réveille pour prendre appui sur toi. Nous sommes livrés au pouvoir de nos fautes. »
4) Enfin, vient le ressaisissement : bon cette fois-ci j’ai compris, je vais faire attention, je vais lui faire confiance et être docile à sa volonté : « Maintenant, Seigneur, c’est toi notre père. Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnes : nous sommes tous l’ouvrage de ta main. »
Vous voyez, ça ressemble étrangement à nos relations avec Dieu, vous ne trouvez pas ? Le cri au moment difficile, la réponse de Dieu, notre amnésie quand tout va bien et le repentir où nous décidons de lui refaire confiance. Ok c’est ainsi, Dieu fait avec ce que nous sommes, pas de souci. On ne va pas se culpabiliser de ce fonctionnement alors que Dieu lui-même ne nous le reproche pas. L’important, c’est la confiance, c’est d’apprendre à compter sur Dieu, à l’attendre en toute confiance, au point de nous laisser modeler par Lui comme l’argile dans les mains du potier. Voilà ce que nous pouvons apprendre à faire durant ce temps de l’Avent, et c’est notre premier outil : nous laisser modeler en toute confiance dans les mains bienfaisantes de Dieu, qui veut faire de nous une œuvre d’art, un magnifique vase prêt à recevoir les fleurs que sa grâce voudra nous offrir.
Cela me fait penser à la prière de Charles Péguy (à citer ici ou à mettre dans la feuille de messe si c’est possible pour ne pas trop allonger l’homélie) « C'est moi l’Artiste, dit Dieu ! Tu es mon vase d'argile. C'est moi qui t'ai modelé, façonné, … Une merveille au creux de ma Main ! Tu n'es pas encore achevé, tu es en train de prendre la « forme » de mon Fils. Voici que tu te désoles et que tu désespères parce que tu as pris quelques fêlures au contact des autres. Tu t'es heurté, tu as été ébréché, tu as même pu tomber par terre te briser et tomber en mille morceaux ! Fêlures, éraflures, lézardes, brisures, cassures, ratures….. N'oublie pas c'est ta condition de vase. Si je t'avais rangé dans un placard à vaisselle tu ne connaîtrais pas ces heurts de la vie mais tu ne servirais à rien, ni à personne ! Tu serais un vase inutile ! Moi, dit Dieu, j'aime les vieux vases, un peu usés, un peu ébréchés. Ils ont toute une histoire ! Et toi, tu voudrais être lisse comme un nouveau-né ? Je te connais, ô toi que j'ai façonné, pétri avec tant d'amour ! Je ne voudrais pas que tu te désoles de tes ratées ! Tu es fait de boue et de lumière ! Tu es fait pour servir ! Á ne regarder que tes failles, tes faiblesses et tes chutes, tu te centres encore trop sur toi-même et tu restes prisonnier de tes failles ! C'est moi l'Artiste et je m'y connais dans l'art de reprendre un vase. Laisse-toi faire ! Je suis l'Artiste, c'est moi qui moule, qui pétris, qui donne la forme. Toi, mon vase d'argile, viens te glisser au creux de mes mains paternelles, laisse toi pétrir, abandonne toi longuement à mon travail de potier. Expose-moi tes fêlures, tes brisures, tes cassures. J'aime à faire du neuf. J'aime à te regarder. Viens et n'aie plus peur ! Chaque fois que tu retombes dans ces fautes que tu voudrais ne plus commettre, je te dis : » le pardon est là ! Viens et continuons ensemble ! » J'aime à te regarder, voir les efforts que tu fais et tout le mal que tu te donnes. J'en éprouve grande joie et tu réjouis mon Cœur ! Je vois combien tu te transformes. Á l'abri de tes regards, je te modèle à l'image du Fils bien aimé ! Tout ce que je te demande c'est de venir toujours et à nouveau, après chaque chute, entre mes Mains, pour me donner la joie de te remodeler. Allons, n'aie pas peur : C'est moi ton Père, c'est moi l'Artiste ! »
Dans la seconde lecture, Paul montre aux chrétiens de Corinthe comment éviter de reproduire indéfiniment le cycle infernal décrit par Isaïe : en nous connectant au Christ. Lui seul nous permet de garder fermement cette confiance jusqu’au bout, car « En Lui vous avez reçu toutes les richesses, toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu. Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ. Voilà le second outil pour apprendre à attendre la venue du Christ en ce temps de l’avent : se connecter à Lui. Comment ? En le priant bien-sûr, en lisant régulièrement sa Parole aussi, en la méditant et en la partageant avec d‘autres, en communiant à sa réelle présence dans l’eucharistie ; mais il se dit aussi dans nos rencontres où l’amour est présent, ou dans la nature qui nous veut du bien, bref, etc… à chaque fois que nous aimons, nous nous connectons au Christ et nous le rendons présent à notre monde.
D’où l’importance de « veiller » comme nous y invite Jésus dans l’évangile de ce jour. C’est le troisième outil. Après avoir fait confiance en Dieu et nous être connecté au Christ, il s’agit maintenant de veiller … à ne pas perdre la connexion ! Voilà pourquoi Jésus nous dit : « Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand c’est le moment ». Et de quel moment s’agit-il ? « Veillez car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. » Il s’agit donc de veiller pour ne pas manquer le moment où vient le Maître de la maison ! Ces phrases sont bien au présent, le grec l’atteste ! Marc ne parle donc pas du moment de notre rencontre avec Dieu après notre mort mais bien de la rencontre avec Dieu aujourd’hui, au présent, le moment opportun où la Vie divine fait irruption dans la nôtre, ce moment imprévisible où nous nous révélons à nous-même, ou la Vie nous rend plus vivant. C’est ce moment-là qu’il convient de ne pas manquer.
Et pour ne pas le manquer, il faut veiller ! Mais Jésus nous propose une façon de veiller un peu particulière : il s’agit de veiller « comme un homme qui part en voyage, en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller ». C’est un peu étonnant non ? En fait jésus ne veut pas que nous soyons des veilleurs constamment sur le qui-vive, ni des sentinelles angoissées à l’idée de manquer la rencontre ou l’irruption de la Vie dans notre vie, mais il s’agit de laisser notre maison intérieure entre de bonnes mains (serviteurs et portier) afin de partir confiant dans le voyage qu’est notre vie quotidienne. Pour ce faire, il s’agit de confier la veille à quelqu’un d’autre que nous, à des serviteurs et au portier ! Mais qui sont ces serviteurs et ce portier ? St Jean dans son évangile nous dit que Jésus est tout à la fois « la porte des brebis, le bon berger et le portier par laquelle les brebis passent pour entrer et sortir » (Jn 10). Il s’agit donc de prier notre portier intérieur de garder notre demeure des intrusions du mal et de nous ouvrir à tout ce qui peut nous faire du bien. En définitive, on peut dire que veiller, c’est veiller sur Jésus qui veille en nous !
Et les serviteurs à qui l’on doit donner du travail ? Ce pourrait être ceux à qui vous demandez d’arroser vos fleurs quand vous partez en vacances et qui permettent que votre maison soit belle en rentrant. L’eau qui empêche que notre vie intérieure ne s’assèche ce pourrait être l’Esprit-saint, qui est répandue grâce à ses serviteurs que sont l’eucharistie, la Parole de Dieu, la prière, les rencontres de qualité, un bon livre, la nature, une œuvre d’art, etc. Voilà comment il nous faut utiliser ce troisième outil : en confiant notre vie intérieure au portier et à ses serviteurs, nous pouvons alors partir tranquillement en Avent, comme si nous partions en vacances, sans oublier d’emporter notre boite à outils : la confiance en Dieu qui ne nous veut que du bien, la connexion au Christ qui gardera notre maison et l’abandon à l’Esprit-saint qui arrosera notre cœur de ses grâces.
Bon temps en Avent !
Gilles Brocard
DIMANCHE 26 NOVEMBRE 2023
Homélie de Vénuste
Christ, Roi de l’Univers
Ezéchiel 34, 11… 17 : le Seigneur se plaint de ce qu’aucun chef d’Israël n’a vraiment été un bon pasteur (sauf David). Aussi Dieu va-t-il intervenir en personne (par son Fils Jésus) pour soigner lui-même son peuple. Sécurité et salut assurés, aussi bien pour la brebis chétive que la blessée, et même l’égarée.
1 Corinthiens 15, 20… 28 : la royauté de Jésus trouve sa réalisation suprême dans sa victoire sur la mort, par sa résurrection et celle de son peuple. C’est un roi sauveur, qui prend la tête d’une nouvelle humanité, le nouvel Adam, le nouveau Moïse ; le salut qu’il donne est cosmique, car il s’étend à tout l’univers. Il détruira tout ce qui est mal, le dernier ennemi étant la mort.
Matthieu 25, 31-46 : la parabole du jugement dernier. Nous serons jugés sur l’amour, pas l’amour de Dieu, mais l’amour du prochain. C’est pour attirer l’attention des chrétiens sur la dimension sociale du christianisme. Le Christ, ce roi pasteur qui refuse la force et la puissance, s’identifie à notre prochain, surtout le plus petit, il nous appelle à reconnaître sa présence dans les autres, surtout les déshérités. Il ne nous demande pas d’attendre que celui qui est dans le besoin vienne à nous, il nous demande (si nous voulons le rencontrer) d’aller visiter les malades, les prisonniers...
La liturgie termine l’année liturgique en beauté, en apothéose, sur la fresque de la venue grandiose du grand Roi, le Christ, le roi de tout l’univers. L’image du Christ Roi appartient à la plus ancienne tradition (c’est le message de l’Epiphanie par exemple, les mages en adoration représentent toutes les nations qui reconnaissent LE roi). Les premiers chrétiens célébraient la royauté du Christ : le Christ a triomphé de toutes les puissances du mal et de la mort, par sa résurrection, par son exaltation, Dieu l’a fait « Seigneur ». Mosaïques et fresques des anciennes absides, tant latines qu’orientales, en sont les témoins iconographiques. Elles représentent le Christ de majesté, le « Pantocrator » : celui qui gouverne tout. Le christianisme était alors le ferment de résistance le plus puissant contre l’absolutisme impérial qui lui infligera trois siècles de persécutions sanglantes. La fête du Christ-Roi est cependant d’origine récente. Elle a été instaurée par Pie XI, en 1925, au moment de la montée des totalitarismes (fascisme, nazisme et communisme), des législations anticléricales et d’un laïcisme agressif ; elle se voulait comme une contestation et une mise en garde devant tous ces dangers ; c’était pour affirmer que tout pouvoir vient et dépend de Dieu, que tout pouvoir est service, surtout service du plus vulnérable. Depuis 1970, la fête du Christ-Roi a reçu la nouvelle appellation de « Christ, Roi de l’Univers ».
Le Christ est roi, LE Roi, l’unique, le seul grand roi, puisqu’il ne règne pas sur un territoire, il règne sur tout l’univers ; il ne règne pas sur le for externe seulement, il règne également sur les cœurs et les consciences. Mais c’est un roi qui nous déroute. Il n’accentue pas les distances loin de ses sujets (protocole exige), au contraire il est tout proche, il prend même la place du plus petit, puisqu’il est venu pour servir et non pour être servi. Il prend même la place du pécheur sur la croix, c’est un comble. Sa puissance, sa force, ses pouvoirs, sont inouïs, puisqu’il régit l’univers, règle la course des astres, crée les organismes vivants et intelligents les plus complexes, mais la preuve suprême de cette puissance, c’est qu’il prend pitié (pardon et miséricorde), qu’il donne sa vie pour une humanité qui ne le mérite pas.
L’image du roi de l’univers qui nous vient normalement à l’idée, c’est le tout-puissant, entouré de tous ses anges, qui siégera sur son trône de gloire pour juger les vivants et les morts ! C’est le credo que je cite, ce sont les paraboles du jugement que nous avons lues ces dernières semaines ; c’est textuellement l’évangile du jour. Une des prérogatives, des fonctions du roi, c’est de juger ses sujets ; la salle du trône servait à cela. Juger, dans la Bible, ce n’est pas d’abord condamner (à des peines plus ou moins sévères), pour asseoir son autorité, pour montrer qu’on a le droit de vie et de mort. « Juger le peuple », c’est lui apprendre le chemin de la vie et du bonheur, à savoir lui apprendre les voies du Seigneur, lui apprendre à s’aimer l’un l’autre, créer l’harmonie dans le peuple. Juger, non pour enchaîner, mais pour libérer. C’est pourquoi, à côté de l’image du roi juge, nous avons une autre image du roi de l’univers, présente elle aussi dans la Bible, celle que Dieu préfère : le roi-berger, « le bon pasteur » qui se coupe en quatre, qui est aux petits soins pour chaque individu. En Israël, les bergers laissaient paître ensemble brebis et chèvres ; c’est seulement le soir que les chèvres étaient mises à part pour mieux les abriter, parce que plus vulnérables. Séparer n’est donc pas une question de sanction, de (con-)damnation. Celui qui donne la vie éternelle aux justes est le même qui pardonne aux autres (don et par-don).
L’évangile d’aujourd’hui (avec la première lecture) est à lire comme une parabole qui nous permet de saisir cette image du pasteur. Les textes sont loin d’une vision de puissance, d’un Dieu-Empereur dont Jésus lui-même s’est nettement distancé : il a toujours refusé qu’on le proclame roi, sauf sur la croix. Sa royauté n’est pas de ce monde. Sa royauté est service (« … j’irai moi-même à la recherche de mes brebis… je veillerai sur mes brebis »), royauté de douceur (« celle qui est blessée, je la chercherai, celle qui est faible, je lui rendrai des forces… »), royauté d’amour. La couronne de ce roi est d’épines, la croix est son trône, son commandement l’amour, sa loi-constitution les béatitudes, son armée des non-violents, son royaume un monde de paix. Il y aura un jour où le monde ne pourra plus ignorer le Christ-Roi, car, ce jour-là, sa venue, sa présence, crèvera les yeux. Mais au lieu d’attendre cette date et de s’étonner qu’elle tarde, efforçons-nous de reconnaître la présence et la royauté du Christ dans l’aujourd’hui, dans le présent déjà. Les textes liturgiques révèlent la surprise : le roi triomphant et majestueux est présent dans le plus petit de nos frères ! A Damas, Paul l’a rencontré dans les chrétiens qu’il persécutait.
Par son incarnation, il s’est fait petit, le petit charpentier de Nazareth : pauvre dans la crèche, demandeur d’asile en Egypte, prisonnier chez Pilate, dépouillé et ridiculisé sur le chemin de la passion, tué comme un vulgaire esclave… Le Christ est solidaire des petits, des pauvres, des persécutés, des marginaux, des exclus, des méprisés. Dieu fait corps avec ceux que nous avons tendance à repousser du pied comme des malpropres, à ignorer, à regarder de haut, à aider avec condescendance. Il n’est pas seulement solidaire de ces « anawim » (pauvres de Yahvé), il en a fait son icône, il est présent en eux. De telle sorte que si l’on veut le servir, il faut aller le chercher dans les pauvres. Si l’on ne veut pas avoir la surprise des justes aussi bien que des « maudits » lors du jugement, quand, aussi bien à droite qu’à gauche, on lui demandera : « quand t’avons-nous vu affamé, assoiffé, nu, étranger, malade ou prisonnier… », il faut ouvrir les yeux et le cœur dès à présent pour ne pas passer à côté de lui dans les malheureux auxquels nous dérobons notre regard, pour ne pas le piétiner dans les déshérités de notre société. Il y en a qui croient que Dieu nous jugera au dernier jour, alors que ce sont nous-mêmes qui nous nous serons jugés tout au long de notre vie en refusant l’amour. Car c’est sur l’amour que nous sommes jugés : si notre vie a été amour. Dieu ne demandera pas combien de fois nous avons été à la messe, combien d’indulgences plénières ou d’indulgences de 300 jours nous aurons comptabilisées. Il ne demandera même pas si nous sommes croyants ou pas. Il demandera si nous avons été humains, si nous avons eu des gestes d’humanité, de miséricorde. C’est paradoxal à dire, mais Dieu ne nous juge pas sur l’amour que nous avons pour lui : le jugement, c’est sur l’amour du prochain, du plus petit. Quelques athées philanthropes seront surpris de se retrouver du bon côté, quelques croyants sans cœur seront étonnés de se retrouver du mauvais côté. La ligne de démarcation, entre les bons et les mauvais, passe par notre cœur. Il nous arrive de visiter un malade, de donner du pain à celui qui n’en a pas. Mais il nous arrive aussi de nous fermer à la détresse qui nous entoure, de refuser l’aumône. Personne ne peut donc prétendre faire partie d’office des « bénis de mon Père », mais personne ne mérite non plus d’office la condamnation éternelle. Evitons donc tout manichéisme qui voudrait déterminer (selon nos a-priori) et séparer ceux à qui on donnerait le bon Dieu sans confession et ceux qui sont irrémédiablement mauvais.
L’Eglise a surtout encouragé les dévotions. C’est une bonne chose tant que la dévotion, la recherche de Dieu, nous ramène à la recherche du frère, à l’amour du prochain. Dieu est servi et aimé dans le frère. Il faut que l’enseignement de l’Eglise mette en valeur aussi la dimension sociale du christianisme. Aimer le frère, surtout celui qui en a le plus besoin. Il y a bien sûr celui qui est dans le besoin matériel : le sans nourriture, le sans vêtement, le sans abri, le sans santé, le sans patrie, le sans liberté. Il y a aussi le sans amour, l’exclus, l’intouchable. Il faut donc aussi mener le combat pour édifier un monde plus juste et plus fraternel. Ne pas attendre que les malheureux viennent frapper à notre porte : nous devons aller au-devant d’eux, sortir de chez nous, pour les fréquenter. Si nous voulons rencontrer Jésus, il ne faut pas l’attendre dans notre salon, il faut sortir sur la place, à la rencontre de la précarité. Que de péchés d’omissions pour lesquels nous ne sommes ni excusables, ni pardonnables ! Ce que nous refusons ou oublions de faire pour le plus petit de nos frères, atteint le Christ lui-même et compromet notre éternité bienheureuse. Efforçons-nous donc d’aimer… d’aller au-devant de notre prochain, qui porte le Christ en lui, qui nous (ap)porte le Christ. Montrons-nous humains pour l’autre. Cultivons la fraternité universelle et la charité sociale comme nous y exhorte le Pape François dans son encyclique « Fratelli tutti ». Nos gestes d’amour, même humbles, ont valeur d’éternité. S’y efforcer par amour, rien que par amour et gratuité (sans la tentation du calcul : pour mériter « son » paradis).
Que ton règne vienne ! Règne dans notre cœur : que nous fassions tout, de telle manière que le monde croie et reconnaisse que tu es le seul roi. Notre monde qui veut vivre sans Dieu, qui se veut laïc. Prions pour tous ceux qui ont une parcelle d’autorité, les « lieu-tenants » de Dieu : qu’ils l’exercent au nom de Dieu, et qu’ils l’exercent par l’amour, le bien commun, le pardon, le souci de la paix et de la justice, le service, surtout en faveur de « l’un de ces petits qui sont les frères » du grand Roi.
Amen
Vénuste
DIMANCHE 19 NOVEMBRE 2023
Homélie de Vénuste
Proverbes 31, 10…31 : éloge de la femme de valeur parce qu’elle est l’âme du foyer, elle est active (elle enrichit son mari au lieu de lui coûter), elle a le souci du pauvre et surtout elle est fidèle (obéissante) à Dieu. Elle est la Sagesse divine (quel audace, pour cette époque, de présenter Dieu sous les traits d’une femme !).
1 Thessaloniciens 5, 1-6 : Paul ne répond pas à la question qui inquiète les chrétiens de Thessalonique « quand le Seigneur reviendra-t-il ? » ; il en indique la soudaineté (images du voleur et des douleurs de la femme enceinte). Il rappelle que les chrétiens n’ont pas à s’inquiéter comme les autres, puisqu’ils sont enfants de lumière, et donc toujours vigilants, jamais endormis. Veiller donc : ne pas se perdre en suppositions stériles de dates du retour du Christ.
Matthieu 25, 14-30 : le Christ va affronter la mort, quitter le monde visible et confier son Eglise à ses disciples. Comment se comporter durant cette « absence » ? Seule alternative : soit la confiance qui porte des fruits, soit la peur ou la méfiance qui paralysent. Le serviteur fidèle met à profit ce temps comme un bon placement : il fait valoir la Parole, les sacrements, les charismes et tous les dons reçus. Il sait que travailler pour Dieu et travailler pour soi-même, c’est la même chose. Avec Jésus, pas question d’enfouir l’Evangile, pas question d’avoir peur.
Après la parabole des dix vierges, voici la deuxième des trois paraboles « eschatologiques » (c.-à-d. qui parlent des « derniers temps ») de Matthieu sur la vigilance dont il faut faire preuve. La parabole des dix vierges parlait de l’Epoux qui tarde à venir, la parabole des talents parle du Maître qui revient « longtemps après ». Que faire, comment se tenir pendant cette « absence » qui paraît longue ? En fait il n’y a qu’une seule alternative : ou bien on fait confiance à Dieu et on parie sur sa fidélité, ou bien on se laisse guider, ou plutôt paralyser par la peur d’un maître qu’on caricature en homme dur. Le départ du Christ en voyage c’est son Ascension, son retour « longtemps après », ce sera son retour en gloire (parousie). Entre les deux, c’est le temps de la croissance de l’Eglise. Les talents, c’est son bien à lui : être au service de la croissance du bien très précieux qu’est la construction du Royaume dans le temps.
Un homme part en voyage, il décide de confier ses biens à ses serviteurs. Ceux-ci n’ont aucune richesse, mais ils ont la confiance de leur maître qui va leur confier (le verbe confier est un des mots-clés de cette parabole) des richesses inouïes (un talent valait le salaire d’un ouvrier pendant 100 ans, 35 kilos d’or ou 60 kilos d’argent). Il ne leur donne pas la même somme, car il connaît les capacités de chacun. Il ne donne aucune consigne, par respect et confiance envers eux : à chacun de prendre des initiatives et de se montrer adulte responsable. L’homme s’en va pour revenir « longtemps après ».
Pendant cette longue absence, deux des serviteurs ont agi en « fidèles serviteurs ». Fidèles, dans le sens de quelqu’un à qui on fait confiance et qui montre qu’il a mérité cette confiance. Ils ont fait valoir, ils ont valorisé les talents reçus et ont fait un gain appréciable puisqu’ils présentent à leur « Seigneur » : le double de l’argent reçu. Le troisième serviteur au contraire s’est cru piégé par son maître, il s’est cru malin en enfouissant l’argent reçu (en cas de perte d’un trésor confié, la loi rabbinique exemptait de toutes poursuites celui qui démontrait qu’il avait caché le trésor dans un lieu sûr). Le malheureux n’aimait pas son maître, croyait bien le connaître et voyait en lui une caricature : « Je savais que tu es un homme dur » ; la relation avec son maître était faussée à la base, ce n’est pas étonnant que cet homme reste faux dans ses attitudes, en croyant être irréprochable, être en règle, en croyant ne faire que ce qui est justice (« tu as ce qui t’appartient », je ne l’ai pas volé, tu peux me féliciter de te le rendre intact). Et c’est son idée de justice qui va le condamner (Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus disait que si on veut un Dieu de justice, on aura un Dieu de justice, mais que si on veut un Dieu d’amour on aura un Dieu d’amour ; et St Augustin aimait dire que celui qui s’éloigne de Dieu le voit juge, celui qui s’en approche le voit Père). Cet homme a déçu parce que, au départ, il n’est que méfiance, contrairement à son maître qui lui témoigne une entière confiance. On dirait qu’il a rencontré le serpent qui a tenté Eve en lui faisant croire que Dieu est jaloux de ses prérogatives et ne veut pas le bonheur de l’homme.
Et pourtant le maître est bon : la preuve c’est qu’il ne reprend pas ses talents (même pas celui du troisième), il les laisse à ses serviteurs fidèles qui ont compris que travailler pour Dieu, c’est soi-même qu’on enrichit ; il les veut associés et partenaires, comme quand on fait entrer son propre enfant dans les affaires de famille. Le troisième l’a compris trop tard. Comme cet ouvrier qui construisait des villas avec son patron et qui va, à l’âge de la retraite, dire au patron qu’il est temps qu’il arrête le travail ; le patron le supplie de construire une dernière villa, il lui fournit tout le matériel mais cette fois-ci il le laisse l’arranger seul à sa façon ; l’ouvrier, comme le troisième serviteur de la parabole, se croit piégé et donc en droit de construire la villa n’importe comment ; quelle ne fut pas sa surprise quand il va dire au patron qu’il a fini la villa : le patron lui remit les clés en lui disant que son intention était de lui donner la villa en cadeau, en reconnaissance de leur longue collaboration ; et c’est trop tard que l’ouvrier eut le regret de n’avoir pas mis tout son cœur et tous ses talents (c’ est le cas de le dire) à la construction de « sa » villa.
Quand Jésus raconte la parabole des talents, il sait qu’il ne va pas rester longtemps avec ses disciples, qu’il va mourir, remonter près du Père et leur « confier » l’Eglise. Nous sommes donc dans ce temps de l’Eglise pour gérer cette « absence » du Christ avec l’Esprit Saint, avec les talents qu’il a jugé nécessaires et suffisants, « à chacun selon ses capacités ». Car nous ne sommes que gestionnaires des talents qu’il nous a laissés et que nous avons à faire fructifier. Ce qui compte pour Dieu ce n’est pas le rendement, le résultat, mais la générosité, l’amour avec lequel nous faisons le travail qu’il nous confie.
Que faut-il comprendre par « talents » ? Le langage courant pourrait nous faire croire que ce sont les dons naturels, les qualités que nous avons par la naissance ou par l’apprentissage (talent d’orateur, talent de bricoleur, dons intellectuels…). Nous sommes sur un plan spirituel : les talents, c’est ce qui fait grandir le Royaume, la petite graine de sénevé qui devient un grand arbre pour abriter toutes les nations. Les talents, c’est l’Evangile (cette bible qui prend la poussière sur notre étagère), les sacrements, les charismes de l’Esprit. Les talents, c’est l’amour reçu de Dieu pour le partager entre frères et sœurs. Bref, tous ces talents qui fructifient à mesure qu’on les donne, qu’on les partage. Ces talents que nous recevons de Dieu, qui construisent l’Eglise universelle, qui édifient la communauté locale.
A nous de prendre les initiatives (et même des risques, au contraire du troisième serviteur qui fait preuve d’une prudence maladive) pour porter du fruit : le Seigneur nous témoigne une immense confiance ; avec un immense respect, il s’est comme retiré (en bon pédagogue, en bon papa) pour nous laisser prendre nos responsabilités, en adultes responsables, mais il reviendra demander des comptes. Quand on a de l’estime pour quelqu’un, on lui demande des comptes dans ce sens qu’on lui donne l’occasion d’exposer avec fierté ce qu’il a réalisé (ce sont les fainéants et les malhonnêtes qui ont peur de rendre des comptes). Dans les entreprises, on fait un « bilan de compétences ». Jésus constatait que les fils de ce monde sont plus habiles que les fils de la lumière, plus proactifs. Soyons dignes de confiance.
A nous de faire le bilan chrétien de compétences. Quels sont les talents que je suis seul à pouvoir faire fructifier ? quel est mon rôle unique (dans le plan de Dieu, chacun est irremplaçable), quelle est la tâche qui est la mienne que je suis seul à accomplir avec les charismes reçus ? de quoi le Christ m’a rendu capable et responsable ? Comment est-ce que je le mets vraiment au service de toute la communauté chrétienne et de l’humanité ? Est-ce que je déploie pleinement toutes mes capacités ? Est-ce que je ne me comporte pas comme le troisième serviteur, comme ceux qui défigurent l’image du Père Amour, ou ceux qui pensent que Dieu ne viendra plus, qu’il est mort et inexistant, ceux qui vivent sans Dieu ? Est-ce que je cherche à entretenir ce que je suis et à le devenir encore plus, encore mieux ? Avons-nous peur et de quoi ? Parce qu’il y a des peurs qui bloquent et rendent méfiant, solitaire, replié sur soi, terré dans sa maison, (en ce siècle que quelqu’un a appelé le siècle des « préservatifs » car on se préserve de tout : de l’étranger, des médias, du politique…) : peur du présent, peur de l’avenir, peur pour ses biens (nous vivons des séismes bancaires), peur des maladies, peur de grossir, peur des autres, peur du partenaire (sida, infidélité), peur de s’engager dans la communauté… Qui enterre son talent, enterre sa joie.
Nous terminons une année liturgique. Comment rendre grâce à Dieu pour les biens dont il nous a comblés ? En méditant et en pratiquant sa Parole, en mettant nos « talents » à son service et au service de son Eglise… Avons-nous au moins conscience des dons reçus ? Hâtons-nous de faire le discernement dans l’Esprit Saint, hâtons-nous de les valoriser. Les dons de Dieu n’épanouissent et ne grandissent le bénéficiaire que quand lui-même en fait bénéficier la communauté dans le service. Si Dieu vient maintenant, quel bilan allons-nous lui présenter ? Que faisons-nous de ce temps d’ « absence » de Dieu ? Sommes-nous trop prudents, trop raisonnables, genre de ceux qui, par (fausse) humilité, invoquent le prétexte de ne pas se mettre en avant, ne pas en faire de trop… Nous comportons-nous en serviteurs fidèles, dignes de confiance, dignes d’entrer dans la joie du maître aujourd’hui déjà ? N’attendons pas son retour : chaque jour est important pour faire fructifier ce qu’il nous a confié. Ou plutôt son retour, c’est maintenant : quelle joie de lui montrer comment nous valorisons les talents reçus ! Ne soyez pas des esclaves qui font le minimum, cachent leur talent au lieu de le valoriser au service de Dieu et du prochain. Ô chrétien, qu’as-tu fait de ta vie ? Qu’as-tu fait de ton baptême ? N’éteignez pas l’Esprit.
Quelle incroyable confiance nous fait le Seigneur avec les charismes qu’il nous donne afin de collaborer avec lui, dans une fidélité active, à étendre le Royaume. Une année, des briques ont été mises dans le fond de l’église et chaque paroissien était invité à marquer son nom sur la brique correspondante à son charisme et au service qu’il peut rendre à la paroisse… très peu se sont manifestés, hélas !
Amen
Vénuste
DIMANCHE 12 NOVEMBRE 2023
Homélie de Vénuste
Sagesse 6,12-16 : la sagesse personnifiée, c'est, dans la Bible, Dieu lui-même, et pour nous chrétiens, le Christ en qui la Sagesse de Dieu a pris visage d'homme. Il a le souci d'instruire son peuple, il se laisse aisément chercher, trouver, contempler. Il vient au-devant de ceux qui le cherchent.
1 Thessaloniciens 4,13-14 : la résurrection est le cœur de notre foi. Ce qui nous distingue des autres religions, c'est notre foi en Christ qui a vaincu la mort et nous donne part à sa victoire. L'Eglise attend le retour du Christ ; pour les premiers chrétiens, c'était tellement imminent que Paul lui-même se voit dans le cortège de ceux qui seront encore vivants quand Christ viendra. La résurrection n’est pas une réédition d’une vie interrompue par la mort : Dieu emmènera avec son Fils « ceux qui se sont endormis »… « Nous serons emportés sur les nuées du ciel à la rencontre du Seigneur ».
Matthieu 25, 1-13 : le retour du Christ est avant tout une invitation à une fête de noce, elle n'est une catastrophe que pour ceux qui n'auront pas leur lampe avec de l'huile en réserve ; ceux-ci se retrouveront dépourvus de tout, personne ne pourra leur venir en aide parce que personne ne peut veiller à la place de l'autre ! L'amour ne se prête pas ! Veillez donc...
Nous sommes en train de terminer l'année liturgique. Comme celle-ci fait défiler toute l'histoire du salut, elle se clôture par « les derniers temps » : le retour du Christ est imminent (on ne connaît ni le jour ni l’heure), tenons-nous prêts, veillons dans la foi, la charité, l'espérance, la prière.
L'évangéliste Matthieu termine le récit de la prédication du Christ en groupant trois paraboles qui parlent de la fin des temps et que nous méditons les trois derniers dimanches de l'année A. Nous avons aujourd'hui la parabole dite « des vierges sages et des vierges folles ». La nouvelle traduction pour la liturgie parle de vierges prévoyantes et celles insouciantes. Folles ? Il ne s'agit pas ici de gens bons pour l'asile ni de « têtes de linotte ». Il s'agit bien de personnes qui agissent délibérément selon leurs principes, leur philosophie de vie, selon leurs idées religieuses. Autrement on pourrait croire que ce n'est pas de leur faute s'ils agissent comme ils le font. Dans la Bible, le fou c'est l'impie, celui qui refuse Dieu, qui mène une vie sans Dieu, contrairement au sage qui a fait le bon choix de s'en remettre à Dieu, de se fonder sur Dieu. La parabole des dix vierges rappelle ce qu'on appelle « la catéchèse des deux voies » qui montre qu'il n'y a que deux alternatives dans la vie : ou bien on choisit Dieu et on a la vie, ou bien on tourne le dos à Dieu et on va à la catastrophe. Comme quand Jésus compare l’homme qui bâtit sa maison sur le sable, contrairement à celui qui pose de solides fondations sur le roc, parce qu'il est prévoyant car, dans la vie, il y a des intempéries, des cyclones et des tsunamis.
Le Christ nous raconte la parabole d’une fête de noce. Lui-même est le jeune marié. Il ne nous présente pas la mariée, parce que c’est tout le monde et chacun. On dirait que l’heureuse élue sera choisie parmi ceux et celles du cortège nuptial qui ont de l’huile avec leurs lampes. Dans le cérémonial du mariage chez les Juifs, la famille et les amis sont en place, prêts à former le cortège qui accueille et accompagne le fiancé chez la mariée. En l’absence d’éclairage public, le rôle des filles d’honneur est justement d’éclairer le parcours. Les mariés n’étant jamais des exemples de ponctualité, on attend jusqu’à tomber de sommeil. Tout le monde s’endort, et personne n’est blâmé pour avoir succombé au sommeil. Au milieu de la nuit le cri retentit : « Voici l’époux ! sortez à sa rencontre ! » C’est l’heure des prévoyants, qui ont l’attitude responsable et sont déjà prêts, car pour ceux qui pensent s’apprêter à la toute dernière minute, c’est trop tard et personne ne peut leur venir en aide. D’ordinaire dans les paraboles, le Seigneur parle de compréhension, il fait même « ramasser » des gens aux carrefours pour que sa maison soit remplie de convives et que le plus de monde possible profite de sa fête. Ici, il devient un portier sévère (quoique lui-même en retard !... nous surprendre, nous faire attendre ou aiguiser l’attente ?), quand il aura fermé sa porte à ceux qui l’imploreront « Seigneur, ouvre-nous », il répondra sèchement « Je ne vous connais pas » !
La pointe du récit est cette huile qui va être le « révélateur » (d’autres pensent que c’est plutôt le fait d’être présent ou pas au moment où l’époux arrive et qu’on ferme la porte, mais comment être présent, accueillir l’époux sans sa lampe allumée ?). Il y aura une minute fatidique où les imprévoyants vont se révéler tels et le regretter, pendant que les sages vont être félicités et s’en féliciter. Quelle est cette huile qu’on ne peut pas partager, qu’on ne peut pas emprunter ? Elle n’est sûrement pas le privilège de quelques fortunés, puisque tout le monde peut s’en procurer, mais à temps, à l’avance et l’avoir près de soi tout le temps. Chaque homme a quelque chose en quoi il « croit » qui le maintient debout en marche : un grand idéal, de grandes convictions, on parle carrément d’une « foi », même quand ce n’est pas une foi en la divinité. Et cette foi doit être alimentée par une « pratique », par une vigilance de tous les instants. Et dans ce domaine, toute imprévoyance est coupable, tout comme c’est tellement personnel que personne d’autre ne peut nous donner de sa foi ni de sa vigilance. Je pense aux grands sportifs, personne ne peut s’entraîner à leur place. Une maman qui attend un bébé, personne ne peut être à sa place. Un étudiant qui veut réussir dans la vie, ne peut compter sur le camarade qui le fait copier aux examens. L’amoureux qui se plaît dans la compagnie de la femme de sa vie, ne peut pas déléguer ni se faire remplacer. Nul ne peut alimenter la flamme de l’amour d’un autre. Vous comprenez alors que la vierge sage ne peut rien pour la vierge folle : ce n'est pas de l'égoïsme si elle dit qu'elle n'en a pas pour elle-même et pour les autres, c'est qu'il y a ce qui ne se prête pas, ne se partage pas. On ne prête pas son corps, on ne prête pas l'amour, on ne prête pas son passé, on ne prête pas sa vie...
La vie chrétienne est elle aussi une flamme d’amour à alimenter personnellement et quotidiennement. Quand l’Epoux arrive, chaque fois que le Christ vient, il doit la trouver allumée ; toute imprévoyance sera sanctionnée, parce qu’elle prouve que l’arrivée du Seigneur était le dernier de nos soucis. Nous n’avons pas à lui reprocher d’être sévère, car le tort est de notre côté, du seul fait de ne pas être prêt pour entrer à la fête. Comment vivre la fête sans s’y préparer ? Ce ne sera pas sa faute, si on tombe en panne sèche, si on n’a pas fait le plein à temps et suffisamment, si on ne se soucie pas de recharger ses batteries à temps, si on n’a pas pris au sérieux l’enjeu et l’importance de son invitation.
Comment et avec quoi faire le plein ? Faut-il disposer de ressources financières pour cela ? Faut-il fournir des efforts héroïques ? Non bien sûr, car dans ce cas, ce ne serait réservé qu’à des élites. Or la vie chrétienne, c’est ce qui a été caché aux sages et aux savants pour être révélé en plénitude aux humbles et aux petits. Mère Teresa de Calcutta commente : « Ne vous imaginez pas que l’Amour, pour être vrai, doit être extraordinaire. Ce dont on a besoin, c’est de continuer à aimer. Comment une lampe brille-t-elle, si ce n’est par l’apport continuel de petites gouttes d’huile ? Qu’il n’y ait plus de gouttes d’huile, il n’y aura plus de lumière, et l’Epoux dira : « Je ne te connais pas ». Mes amis, que sont ces gouttes d’huile dans nos lampes ? Elles sont les petites choses de la vie de tous les jours : la joie, la générosité, les petites paroles de bonté, l’humilité et la patience, simplement aussi une pensée pour les autres, notre manière de faire silence, d’écouter, de regarder, de pardonner, de parler et d’agir. Voilà les véritables gouttes d’Amour qui font brûler toute une vie d’une vive flamme. Ne cherchez donc pas Jésus au loin ; il n’est pas que là-bas, il est en vous. Entretenez bien la lampe et vous le verrez. »
A chaque baptisé de prendre au sérieux la monition du prêtre quand, au baptême, celui-ci donne le cierge baptismal en disant : « C’est à vous, parents, parrain et marraine, que cette lumière est confiée. Veillez à l’entretenir : que N., illuminé par le Christ, avance dans la vie en enfant de lumière et demeure fidèle à la foi de son baptême. Ainsi, quand le Seigneur viendra, N. pourra aller à sa rencontre dans son Royaume, avec tous les saints du ciel ». La référence à la parabole du jour est très explicite.
La rencontre avec Dieu, ce n'est pas l'affaire de la minute fatidique où le cri retentit que l'époux est là. C’est l'histoire de toute une vie, comme quand on construit une maison bien solide depuis ses fondations contre l’assaut inévitable du vent et des forces de la nature. L'homme avisé prend ses précautions. Il faut y penser à temps, car dans l'extrême urgence, personne d’autre ne pourra être de quelque utilité. On aura beau taper fort à la porte d'entrée, il ne suffira pas de dire « Seigneur, Seigneur », car de l'intérieur viendra la terrible réponse : je ne vous connais pas, allez-vous-en ! Ce n'est pas au fameux dernier jour que le chrétien se souviendra qu'il devait entretenir sa vie chrétienne, comme une lampe qui devait rester allumée avec de la réserve pour l'alimenter jour et nuit.
L'huile pour nos lampes de la vie, ce sont donc les bonnes œuvres. J'ajouterai la prière. L'Eglise a toujours recommandé la prière comme le moyen le plus sûr de veiller. Le Christ le disait dans le jardin de Gethsémani à ses amis Pierre et les deux fils de Zébédée. Soyons fidèles à une prière quotidienne, une prière joyeuse, une prière contre l'assoupissement de la routine. Grâce à la prière, nous savons veiller à ce qui est essentiel, au vrai bonheur, à la vraie vie, au grand amour, plutôt que d'avoir la tête ailleurs. Elle nous permet de sortir à la rencontre de Jésus (l'Epoux), sortir de notre quotidien trop programmé, trop surchargé ou alors sans relief, un quotidien où on s'assoupit sous le poids des habitudes. Elle stimule et permet de tenir dans les difficultés, les doutes, les crises. Elle protège notre flamme contre les courants d’air de l’erreur, de l’incroyance, de l’esprit du monde et de ses tentations.
Restons vigilants, sans stress ni angoisse cependant. Alimentons notre lampe par l’apport de l’huile que sont aussi la lecture des Saintes Ecritures et toute bonne lecture qui nourrit la foi, la participation à des formations ou des sessions… Veillons dans la prière et par les bonnes œuvres qui expriment l’amour que nous avons pour Dieu et pour le prochain. Que continue à briller notre lumière des vertus : foi, espérance, charité, fidélité, persévérance… Heureux les invités aux noces de l’Agneau.
Amen
Vénuste
DIMANCHE 5 NOVEMBRE 2023
Homélie de Gilles
PREMIÈRE LECTURE
Lecture du livre du prophète Malachie (Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10)
Je suis un grand roi – dit le Seigneur de l’univers –,
et mon nom inspire la crainte parmi les nations.
Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement :
Si vous n’écoutez pas,
si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom
– dit le Seigneur de l’univers –,
j’enverrai sur vous la malédiction,
je maudirai les bénédictions que vous prononcerez.
Vous vous êtes écartés de la route,
vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude,
vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi,
– dit le Seigneur de l’univers.
À mon tour je vous ai méprisés,
abaissés devant tout le peuple,
puisque vous n’avez pas gardé mes chemins,
mais agi avec partialité dans l’application de la Loi.
Et nous, n’avons-nous pas tous un seul Père ?
N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ?
Pourquoi nous trahir les uns les autres,
profanant ainsi l’Alliance de nos pères ?
PSAUME (Ps 130 (131), 1, 2, 3)
Seigneur, je n’ai pas le cœur fier
ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins,
ni merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme
égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
Attends le Seigneur, Israël,
maintenant et à jamais.
DEUXIÈME LECTURE
Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens (1 Th 2, 7b-9.13)
Frères,
nous avons été pleins de douceur avec vous,
comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons.
Ayant pour vous une telle affection,
nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu,
mais jusqu’à nos propres vies,
car vous nous étiez devenus très chers.
Vous vous rappelez, frères, nos peines et nos fatigues :
c’est en travaillant nuit et jour,
pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous,
que nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu.
Et voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu :
quand vous avez reçu la parole de Dieu
que nous vous faisions entendre,
vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement,
non pas une parole d’hommes,
mais la parole de Dieu
qui est à l’œuvre en vous, les croyants.
ÉVANGILE
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 23, 1-12)
En ce temps-là,
Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples,
et il déclara :
« Les scribes et les pharisiens enseignent
dans la chaire de Moïse.
Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire,
faites-le et observez-le.
Mais n’agissez pas d’après leurs actes,
car ils disent et ne font pas.
Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter,
et ils en chargent les épaules des gens ;
mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens :
ils élargissent leurs phylactères
et rallongent leurs franges ;
ils aiment les places d’honneur dans les dîners,
les sièges d’honneur dans les synagogues
et les salutations sur les places publiques ;
ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,
car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner,
et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père,
car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres,
car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé,
qui s’abaissera sera élevé. »
Homélie
Les lectures de ce jour portent sur l’attitude juste du prophète ou du disciple de Jésus. Dans la 1ère lecture, Malachie, prophète du 5ème siècle avant Jésus-Christ, dénonce l’attitude des prêtres de son époque, il pointe du doigt sans ménagement le mal qu’ils font (laxisme cultuel, partialité…) c’est un recadrage en règle pourrait-on dire. Et comme à chaque fois face à de tels agissement, le prophète nous fait ressentir sa colère à travers celle de Dieu, car il sait que lorsqu’on touche à l’Homme, on touche à Dieu. Il ne mâche pas ses mots, dans le passage que nous avons entendu : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : j’enverrai sur vous la malédiction, je maudirai les bénédictions que vous prononcerez. Vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude, vous avez détruit mon alliance (…) vous n’avez pas gardé mes chemins, mais agi avec partialité dans l’application de la Loi… ».
C’est la même indignation qui poussait le prophète Ezéchiel à dénoncer les mauvais pasteurs 150 ans avant Malachie : « Malheur aux pasteurs d'Israël qui se paissent eux-mêmes. Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine, vous avez sacrifié les brebis les plus grasses, mais vous n'avez pas fait paître le troupeau. Vous n'avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté. » (Ez 34, 1-7).
C’est toujours la même indignation qui meut Jésus dans l’évangile que nous avons entendu tout à l’heure : il met ses auditeurs en garde face à l’agissement des scribes et des pharisiens : « N’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas. Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens ». Vous entendez que c’est la même musique ? Et ces dénonciations pourraient encore s’appliquer aujourd’hui envers certaines personnes dans l’Eglise, mais aussi en politique, dans les instituions où les membres de la hiérarchie exploite les plus petits, cela vaut aussi pour tous les systèmes financiers qui permettent à quelques-uns de s’enrichir sur le dos du plus grand nombre, bref, cette dénonciation est de tout temps, je ne veux pas m’étendre davantage ici, même s’il est important de le faire par ailleurs.
Je préfère m’attarder maintenant sur le psaume et la seconde lecture qui nous décrivent à contrario quelle doit être l’attitude du croyant ou du disciple de Jésus. Le petit paume 130 est une merveille : il est tellement court qu’il peut facilement être appris par cœur :
« Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ;
je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent.
Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ;
mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère ».
Voilà quelle doit être l’attitude du croyant au Dieu de Jésus-Christ, une personne humble qui connait sa petitesse mais qui tient sa grandeur de Dieu, un croyant qui connait ses peurs et sa vulnérabilité mais qui tient sa force de Dieu, bref, tout l’inverse de ce que Jésus dénonce chez les pharisiens, qui « agissent pour se faire remarquer, qui aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ». Alors oui, apprenez ces 2 versets du psaume 130 par cœur et répétez-les-vous régulièrement dès que votre égo voudra reprendre le dessus, cela vous aidera à vous rappeler où se situe votre vraie grandeur et votre véritable assurance.
Paul est encore plus explicite dans la seconde lecture. Vous avez remarqué qu’il parle en disant « nous ». En fait, il fait allusion à Sylvain et Timothée ses deux fidèles acolytes qui l’accompagnent dans ses voyages missionnaires et qu’il laisse sur place pour consolider la communauté avant de repartir plus loin : les 3 sont de la même trempe : sans manquer d’humilité, Paul rappelle qu’ils ont « été pleins de douceur avec les chrétiens de Thessalonique, comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons. Ayant pour eux une telle affection qu’ils étaient toujours prêts à donner leur vie, peinant nuit et jours pour ne pas peser sur les membres de la communauté et tout cela dans un seul but : leur annoncer l’Evangile ». On est loin des pharisiens qui disent et ne font pas ! Pourtant on est tout près de l’époque de Jésus puisque la lettre aux Thessaloniciens est la plus ancienne lettre chrétienne connue actuellement, donc la plus proche de Jésus (Écrite en l’an 51 soit moins de 20 ans après la mort de Jésus).
Ce que j’aime dans cette description du disciple selon Paul, c’est le lien qu’il fait entre les paroles et les actes, entre l’annonce et la vie. En effet, il en allait de leur crédibilité : pour être crus, il ne fallait pas qu’ils apparaissent aux yeux des autres comme de nouveaux pharisiens, il fallait faire ce qu’ils disaient et vivre ce qu’ils annonçaient. L’hypocrisie que Jésus dénonce chez les pharisiens n’est pas une petite duplicité où l’on ne dit pas ce que l’on pense, non, c’est plus grave, c’est qu’ils ne vivaient pas ce qu’ils croyaient et ce qu’ils annonçaient.
Voilà ce qui met Jésus dans une telle colère tout au long du Chapitre 23 de l’Evangile de Matthieu où il traite les scribes et les pharisiens « d’hypocrites » à 7 reprises et 3 fois de « guides aveugles » ! Car lui qui a su si bien incarner la Parole de Dieu dans le quotidien de sa vie, sait que ce monde ne changera pas sans nous, sans incarner l’Evangile en pleine humanité, dans le quotidien de la vie. Oui il s’agit d’être là au cœur de l’humanité, comme une mère qui prend soin de ses enfants et cela Jésus ne peut pas le faire à notre place. Il a besoin de nous pour que la Parole de Dieu soit vivante aujourd’hui et que celle-ci agisse encore dans ce monde aujourd’hui.
Dans le temps qui suit cette homélie, je vous invite à réfléchir à votre manière de lier votre foi et vos actes : où, quand et comment concrètement dans la semaine qui vient, allez-vous mettre votre foi en actes, vivre ce que vous croyez, que ce soit en famille ou au travail ou avec vos voisins, etc… Allez-y ! Allons-y lançons nous de la tête aux pieds dans le cambouis de ce monde, non parce que c’est bien ou pour gagner notre paradis, mais parce qu’il en va de l’avenir du monde et de l’espérance dont il a besoin pour que le royaume surgisse.
Amen
Gilles Brocard
DIMANCHE 29 OCTOBRE 2023
Homélie de Vénuste
Le double amour
Exode 22, 20-26 : tout à fait naturel que toutes les législations se préoccupent de protéger les plus vulnérables (la veuve, l’orphelin, l’étranger), mais chez les Israélites, la motivation est que eux-mêmes ont vécu ces situations en Egypte. Le Seigneur a alors vu leur misère, entendu leur prière et est venu à leur secours. Ils doivent s’en rappeler : si le malheureux crie encore aujourd’hui vers le Seigneur, celui-ci est toujours compatissant, il écoutera le malheureux et volera à son secours.
1 Thessaloniciens 1, 5-10 : l’apôtre Paul continue de complimenter les chrétiens de Thessalonique dont la conversion est devenue un modèle pour toute la Grèce, car ils ont accueilli la Parole de Dieu pour en informer toute la vie, dans l’imitation du Christ. Paul les encourage à faire plus : participer à la mission afin qu’à partir de chez eux la parole du Seigneur retentisse et soit répandue partout.
Matthieu 22, 34-40 : Israël connaissait 613 prescriptions de la Loi. Face à cette casuistique compliquée, l’on se demandait comment faire une hiérarchie pour en saisir le plus grand commandement. La réponse de Jésus, c’est que la Loi ne peut être réduite à une accumulation de règlements : elle est relation à Dieu, relation qui passe par l’homme. Aimer Dieu de toutes ses forces ; mais on ne peut aimer Dieu sans aimer l’être qui lui est le plus cher, à savoir l’homme et tout homme. Aimer en vérité : réponse à l’amour premier que nous donne le Père.
Encore de la polémique : les pharisiens ont appris que Jésus « avait fermé la bouche » aux sadducéens (à propos de la résurrection), ils reviennent à la charge, tous les adversaires se donnent le mot et se relayent, ils ne désarment pas. Cette fois-ci ils envoient un poids lourd, un docteur de la Loi. Celui-ci vient demander le commandement qui est au-dessus des autres. Le piège réside dans le fait que affirmer qu’un commandement est le plus important, c’est par le fait même donner à penser qu’il faut relativiser tous les autres, comme s’ils ne venaient pas de Dieu et de Moïse. Dans sa réponse, Jésus montre le cœur de la Loi, l’Esprit au cœur même de la Loi.
Par rapport à d’autres passages, la question n’a rien de malveillant. Elle faisait partie des plus discutées dans les milieux religieux. Il faut savoir qu’à partir des 10 commandements du Décalogue donné par Dieu à Moïse sur le Sinaï, il y a eu le Lévitique qui est déjà un fameux catalogue de lois et on en est arrivé à un corpus de 613 prescriptions légales dont 248 préceptes énoncés positivement et 365 interdits, soit un interdit par jour ! En plus on distinguait des graves et des légers. Mais toutes les écoles n’avaient pas les mêmes nuances. Comment trouver la voie dans tout ce dédale ? C’est ainsi que les écoles rivalisaient de trouver une hiérarchie dans cette casuistique ultra compliquée : quel est le commandement qui est l’essentiel, qui est le fondement, qui résume tous les autres ?
Dans sa réponse, Jésus fait deux citations : un passage du Deutéronome (Dt 6,5) et un autre du Lévitique (Lv 19,18). Le premier est le verset qui est récité dans la prière du matin par les Juifs pieux, la fameuse prière du « Shema Israël » (Ecoute, Israël). Le fait qu’il était récité chaque jour en montre l’importance. Que Jésus en fasse le premier commandement, ça n’a donc rien d’étonnant. L’originalité de Jésus est de le jumeler au commandement de l’amour du prochain et d’affirmer que « Tout ce qu’il y a dans l’Ecriture - dans la Loi et les Prophètes - dépend de ces deux commandements ». On lui demandait un seul commandement, il en donne un double : deux amours « semblables » mais jamais exclusifs, jamais interchangeables mais nécessaires avec nature et importance égales de l’un et l’autre amour (remarquer le possessif « ton » Dieu, « ton » prochain). Et il souligne que ces deux commandements, ces deux amours sont le dynamisme intérieur et la motivation de tous les autres commandements. C’est le cœur de la Loi sans lequel elle serait un corps sans âme. Là est l’Esprit de la Loi. Les autres commandements viennent après, puisque (selon la conclusion qu’en tire Marc), cela vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices… que toute pratique des sacrements, et même l’eucharistie. Il est fort étonnant que ces deux commandements ne figurent pas dans les 10 « paroles de vie » de la Loi donnée à Moïse sur le Sinaï (curieux également qu’il n’y ait qu’une fois le mot « amour » dans les 10 commandements !).
Plutôt que d’examiner chacun des deux commandements indépendamment de l’autre, il faut en souligner le lien inextricable. Jésus veut dire qu’on ne peut pas observer le premier sans passer par le second et inversement. Jésus l’a prouvé sur la croix quand il a étendu ses mains. Il y a la branche verticale de la croix qui montre l’amour de l’homme vers Dieu, et il y a la branche horizontale qui montre qu’il faut embrasser l’universel, se faire le frère universel (François d’Assise, Charles de Foucauld, Sœur Emmanuelle), aimer tous les hommes sans distinction de race, de sexe, de religion (la croix janséniste avait un angle restreint !). Le Christ est au milieu des branches : il faut passer par lui, aimer en lui.
Dorothée de Gaza, moine du VI° siècle, donnait une autre image. « Supposons donc un grand cercle tracé sur le sol, c-à-d une ligne tirée en rond avec un compas, autour d’un point central… et bien, ce cercle est notre monde, et le centre en est le Dieu Vivant, et tous les rayons sont les différentes voies ou manières de vivre des hommes. Quand nous désirons approcher de Dieu, nous marchons vers le milieu du cercle : dans la mesure où nous pénétrons à l’intérieur, nous nous rapprochons nécessairement les uns des autres, en même temps que de Dieu au centre. Ainsi, plus nous nous approchons de Dieu, plus nous nous rapprochons les uns des autres ; et plus nous nous rapprochons des autres, plus nous nous approchons de Dieu. Vous comprenez qu’il en est de même en sens inverse, quand on se détourne du centre pour se retirer vers l’extérieur : il est évident alors que, plus on s’éloigne de Dieu, plus on s’éloigne les uns des autres, et aussi que plus on s’éloigne les uns des autres, plus on s’éloigne aussi de Dieu. Telle est la nature profonde de l’amour-charité ! »
Ils l’avaient bien compris les premiers chrétiens (les premiers convertis non Juifs devaient se prendre la tête devant le fouillis de prescriptions légales auxquelles tenaient encore les convertis du judaïsme) : aux premiers temps de l’Eglise, ils avaient un signe. On disait d’eux : voyez comme ils s’aiment. Jésus avait dit que c’est à ce signe qu’on les reconnaîtra pour ses disciples : à l’amour dont vous vous aimez les uns les autres. Ils l’avaient bien compris les premiers moines. Il y eut d’abord des ermites qui vivaient rigoureusement seuls, consacrés qu’ils étaient à l’amour exclusif de Dieu. Puis la seconde génération a trouvé que cet amour exclusif de Dieu était tronqué de quelque chose d’essentiel, à savoir l’amour du prochain, car l’ermite, dans son silence et sa solitude, n’a pas l’occasion de pratiquer l’amour du prochain. C’est pourquoi la seconde génération va organiser la vie communautaire (cénobitisme) afin d’aimer Dieu en aimant le prochain dans le quotidien et les difficultés d’une vie commune, d’une cohabitation avec des sœurs et des frères qu’on ne choisit pas comme c’est le cas dans le couple.
Quand on ne respecte pas l’unité des deux amours, on transgresse fatalement la loi de l’amour (parfois au nom de la loi). C’est ce que montre la parabole du bon samaritain (parabole qui, en St Luc, poursuit la polémique par une autre question du légiste qui est « mon » prochain) : au nom de la loi, le prêtre et le lévite se sont dérobés au devoir d’assistance à personne en danger, pour ne pas contracter l’impureté rituelle qui les aurait empêchés d’assister à la prière du temple et aux sacrifices rituels. L’encyclique « Fratelli tutti » du Pape François sur la fraternité et la charité sociale appuie son argumentaire sur un excellent commentaire de la parabole du bon samaritain.
L’apôtre St Jean est celui qui a beaucoup parlé de ce double amour. D’ailleurs il ne dit pas qu’il faut aimer son prochain comme on s’aime soi-même, il dit qu’il faut aimer le prochain comme Dieu nous a aimés : ce n’est plus un amour humain à la mesure humaine, c’est l’amour divin que nous recevons de Dieu pour le communiquer, pour en être le canal et le réseau. Et comment Dieu nous a-t-il aimés ? Il a donné son Fils unique qui lui-même a donné sa vie pour nous ; et par conséquent, ajoute St Jean, nous aussi nous devons à notre tour donner notre vie pour nos frères et sœurs. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Et on ne peut aimer Dieu qu’on ne voit pas si on n’aime pas le frère qu’on voit. L’amour vient de Dieu pour atteindre chacun d’entre nous qui se fait la joie de le passer aux autres. L’amour circule tel le sang dans l’organisme. Ainsi le péché c’est couper le robinet, couper le lien.
L’amour doit se vivre, non seulement en paroles, mais surtout en actes, dans le concret, le quotidien, le caritatif, le social et l’humanitaire. Le double amour de Dieu et du prochain se manifeste dans la prière et la méditation de l’Ecriture, où nous puisons ce regard aimant du Christ que nous allons poser sur le prochain, cette tendresse qui console et apaise, qui apporte aide matérielle et affective, réconfort et partage. Amour qui est charité, écoute, secours et don de soi. N’en faisons pas une accumulation de règles, mais comprenons qu’il faut l’exprimer dans des gestes et des attitudes de tous les instants de la vie : une dynamique, plus qu’un sentiment. Reconnaissons qu’il y a là beaucoup de péchés d’omission. Car il s’agit d’aimer sans limite, ni exclusive, ni discrimination, ni modération : « la mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure », disaient St Augustin et St Bernard. Nous, nous y mettons des limitations que nous savons d’ailleurs bien justifier pour nous donner bonne conscience !
Faisons cependant attention à ne pas réduire l’amour du prochain aux « œuvres de charité » : il ne s’agit pas uniquement de donner, d’aider. On peut manquer de charité en « faisant la charité » ! Avant toute action de bienfaisance vient la bienveillance ; avant de faire le bien, vient la volonté de faire le bien. Par amour. Sans calcul, pas même pour « gagner le paradis » encore moins pour « être en règle » ! Il ne faut pas non plus en faire un devoir (dans le couple, la relation devient un dérapage si elle glisse de la tendresse dans le devoir). Saint Jean de la Croix disait que « aimer est la seule règle dont le propre est précisément de n’en pas être une ». Aimons Dieu en nous aimant réciproquement en frères et sœurs.
Amen
Vénuste
DIMANCHE 22 OCTOBRE 2023
Homélie de Vénuste
Rendez à César....
Is 45,1… 6 : un roi païen, Cyrus, eut un rôle providentiel. Israël lui doit le retour d'exil et la reconstruction du temple. Isaïe n'hésite pas à lui donner un des titres réservés au messie : oint du Seigneur (consacré). Messianisme de nos rois et présidents qui se croient investis de pouvoir divin ? Laïcité positive ? Toute personne devrait être au service des projets de Dieu, surtout les responsables du peuple, les lieu-tenants de Dieu.
1 Thess 1, 1-5 : quand l'apôtre Paul écrivait aux communautés, il commençait par les saluer en admirant l'œuvre que Dieu avait déjà réalisée en elles. Il est à remarquer la place des trois Personnes divines dans ce court extrait.
Mt 22, 15-21 : d'habitude, Hérodiens et pharisiens ne s'entendaient pas, mais ensemble, ils cherchent à coincer Jésus par une question piège à propos de l'impôt. Jésus montre à la fois l'autonomie de la politique par rapport à la religion et inversement, ainsi que l'inviolabilité de la conscience de l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu : César n’est qu’un lieu-tenant de Dieu, Dieu seul a pouvoir sur les consciences ; l’effigie de César est imprimée sur la monnaie pour le seul usage commercial, l’image de Dieu est quant à elle imprimée dans le cœur de toute personne humaine. Jésus refuse la logique de ses adversaires pour qui royaume de Dieu et empire romain sont sur le même plan. Il n’est ni révolutionnaire ni collabo ! Mais il est solidaire des hommes et il leur apporte la vraie libération.
La polémique s'enfle entre Jésus et ses adversaires : ils ont décidé sa mort, ils cherchent à le coincer. Les pharisiens et les Hérodiens, qui d'ordinaire ne s'entendent pas, vont, à cette fin, faire une coalition contre nature. Ensemble ils lui posent une question-piège, après l'avoir encensé avec des formules obséquieuses (quoique vraies) : « Est-il permis oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur ? »
Il est nécessaire d'expliquer le piège. Nous sommes en Terre Sainte à l'époque de l'occupation romaine, avec tout ce que comporte l'occupation d'un pays par une puissance étrangère, notamment l'obligation de payer l'impôt, avec le cortège de collabos d'un côté et de résistants de l'autre. Il y avait Hérode et ses partisans, hommes de paille des Romains, qui exerçaient une portion de l'imperium romain et souhaitaient donc que les Romains restent sur place pour protéger leur autorité contestée dans le peuple. Il y avait au contraire les nationalistes qui faisaient le vœu de voir les Romains boutés hors des frontières d'Israël ; parmi eux, les pharisiens qui évitaient toute compromission avec les autorités romaines ; il y avait aussi tous ceux qui attendaient un messie à la taille de David, un guerrier qui allait jeter les Romains à la mer ; et il y avait les Zélotes qui n'hésitaient pas à faire des actes de sabotage et qui étaient considérés par Rome comme les terroristes d'aujourd'hui. Les opinions des Hérodiens et des pharisiens à propos de Rome étaient donc aux antipodes. Ainsi sur la question de l'impôt : les pharisiens y voyaient le moyen de sujétion, une façon de renoncer à leur propre souveraineté pour reconnaître la domination de Rome dans tous les domaines y compris le domaine religieux ; tandis que pour les Hérodiens c'était le moyen d'acheter les faveurs des Romains. Les adversaires de toujours se liguent cependant un moment pour comploter contre Jésus afin de le coincer sur la question brûlante de l'impôt. Jésus se trouve vraiment entre l'enclume et le marteau. On croyait que la question ne pouvait avoir d'échappatoire, c'était oui ou c'était non, d’où le piège. Si Jésus répond qu’il faut payer l'impôt, on va dire qu'il est collabo, qu'il n'est en rien le messie libérateur tant attendu. Au contraire, s'il dit « non, pas question de payer l'impôt », il sera dénoncé aux autorités romaines comme agitateur et trublion (pendant son procès on ne va pas se gêner pour l'accuser d'avoir prêché la sédition).
Jésus connaît la perversité de ses adversaires. S'ils ont préparé leur question-piège en l'encensant par des propos obséquieux, il sait que ce sont des hypocrites : lui qui n'a pas froid aux yeux, il le leur dit sans mettre de gants. Et c'est lui qui va les coincer. Il échappe à ce dilemme qui nous enferme souvent dans le permis et le défendu, il demande tout simplement de lui montrer la monnaie de l'impôt. C'est dire que lui-même n'en avait pas sur lui, alors que, eux, en avaient plein les poches ! La réponse est dans leur porte-monnaie ! Hypocrites qu'ils étaient, ils dénonçaient un moyen économique dont ils usaient et abusaient. Ils lui présentèrent donc une pièce d'argent (ce qui montre qu’ils introduisaient cette monnaie dans le temple, alors que c’était défendu). Il leur demande : « Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? » Nous sommes à l'époque de Tibère, l'effigie était donc la tête de Tibère et l'inscription disait « Tibère César, fils du divin Auguste, Empereur ». Divin Auguste : toutes les autorités ont tendance à croire qu'elles sont nées de la cuisse de Jupiter, les empereurs romains se prenaient pour des divinités et avaient imposé un culte où on sacrifiait devant leur statue (les martyrs chrétiens étaient mis à mort entre autres parce qu'ils refusaient ce culte en disant qu'ils respectent l'empereur, qu'ils prient pour lui mais qu'ils ne le prient pas, parce que l'adoration n'est réservée qu'au Dieu unique et véritable). Cette inscription explique d'ailleurs pourquoi cette monnaie romaine avait cours partout sauf au temple de Jérusalem qui avait sa propre monnaie pour l'usage exclusif du culte : Yahvé avait interdit de se faire des images ; or non seulement la monnaie romaine portait une effigie, mais encore l’image de quelqu’un qui se prenait pour un dieu ; c’était donc une abomination de l’introduire au temple. Les adversaires de Jésus sont pris la main dans le sac ! Un sacrilège !
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Expression qui est devenue un proverbe, mais qui est souvent manipulée de façon détournée pour justifier même l'injustifiable. Il y en a qui croient que Jésus voulait dire qu'il faut une nette démarcation entre la religion et la politique pour que l'Eglise et les curés restent à la sacristie ou que les cathos se désintéressent complètement de la politique ; il y en a qui y trouvent un argument pour l'Etat laïc ... Qu'est-ce que le Christ a voulu dire ? Ni l’Eglise contre l’Etat ni inversement, mais à chacun sa sphère spécifique, alors que Dieu est le seul maître souverain des deux. La réponse de Jésus est une pirouette géniale : de l’objet du litige, il fait une pièce à conviction. Il parle des droits de Dieu alors qu’on ne lui demandait pas ce qu’il faut donner à Dieu, ni de parler de Dieu. On lui parle de politique, et il introduit dans le débat une autre dimension, religieuse celle-là ! On parle de l’empereur, et le voici qui nous parle de Dieu !
Il y a une histoire d'effigie : c'est certainement la clé d'interprétation. César frappe la monnaie à son effigie, César met son cachet sur ses décrets et son tampon sur ses ordonnances. C'est là son domaine auquel il doit se limiter. Il y a donc un domaine qui lui échappe et auquel lui-même est soumis et où il y a l'effigie de Dieu. Qu'est-ce qui est à l'effigie de Dieu ? L'homme qui a été créé à l'image et à la ressemblance divines. C'est très clair que César, tout César qu'il est, n'a aucun pouvoir sur la dimension divine dans l'homme, dans tout homme. Voilà affirmée l'inviolabilité de la personne humaine, l'inviolabilité de la conscience de l'homme, la liberté religieuse. Voilà affirmée l'absolue souveraineté de Dieu. Car à Dieu seul tout l’univers, même le cœur de l’homme. Jésus reconnaît l'autorité et la valeur de la politique. Il affirme le bien-fondé du pouvoir civil (sans totalitarisme) et la nécessité de se soumettre à ses lois légitimes. Mais il le dédivinise, il le désacralise pour rendre la liberté à la personne humaine (« vous n’avez qu’un seul maître ») : le pouvoir a toujours tendance à devenir absolu, tout comme il veut détrôner Dieu pour se mettre à sa place. Jésus n’est pas un messie politique pour renverser le pouvoir romain. Pas de soumission systématique non plus aux divers régimes politiques. Jésus reconnaît l'autonomie de l'Etat en même temps que la responsabilité de l'homme dans la gestion du monde, mais il affirme l'absolue souveraineté de Dieu. Autonomie, sans confusion ni antagonisme, sans concurrence ni collusion. Il ne faut donc pas chercher à ce que la religion cautionne les choix politiques (ou économiques) comme quand on veut se couvrir derrière une autorité religieuse : pas de prises de positions politiques qui soient sacralisées (pas de théocratie). D'un autre côté, il ne faut pas prendre la politique pour un mal (nécessaire), que les chrétiens doivent s'en éloigner ; ils doivent plutôt s’y engager : les convictions religieuses doivent influer sur la rue, sur la cité, sur les affaires, sur la famille, sur la loi… pour que notre monde devienne le Royaume de Dieu.
Sachons rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. D'une part, est-ce que nous accomplissons notre devoir citoyen ? Pas seulement en payant l'impôt (payer l’impôt est un devoir selon Rom 13, 1ss ; la fuite des capitaux est un vol à la communauté tant que l’Etat est juste dans la répartition des impôts), mais en prenant toute initiative pour promouvoir le bien commun surtout en faveur des plus vulnérables, pour promouvoir la justice et la paix sociales. D'autre part, est-ce que nous rendons à Dieu le culte et l'adoration qui lui reviennent, sans le mettre en concurrence avec l’homme ou la cité ? Est-ce que nous lui consacrons notre vie pour qu'il règne sur notre cœur et notre conscience (et lui seul) ? Ce culte, est-ce quelques dévotions ou de (coûteux) sacrifices pour nous tranquilliser la conscience ou est-ce le vrai culte en esprit et en vérité, « une foi active, une charité qui se donne de la peine, une espérance qui tient bon », selon St Paul dans la deuxième lecture ? Il ne s'agit donc pas seulement d'un culte privé, ni uniquement d'ailleurs d'un culte liturgique. C'est tout ce que nous disons, tout ce que nous faisons, tout ce que nous pensons, tout ce que nous sommes ... c'est tout cela qui doit être culte en esprit et en vérité. Jésus dit à ses disciples que, voyant leurs bonnes oeuvres, le monde rendra gloire à Dieu : est-ce que notre comportement amène les autres à rendre à Dieu ce qui est à lui (la gloire) ? Est-ce que notre vie fait honneur à notre Père, à notre famille l'Eglise ? A lui seul honneur et gloire pour les siècles des siècles. Amen
La politique : sublime expression de la charité.
Vénuste